Bianchimani

Régis

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(Vous pouvez me condamner, mais s'il-vous-plaît, ne me jugez pas !)

Régis est devenu tueur par jalousie, pourrait-on dire. Sans préméditation.
De plus il ne tue pas. Il s'amuse. Il rigole. L'acte irréversible lui amène d'immenses « éclats » de rire.
Lié à sa sexualité, comme on pourra le constater.
Pour lui, l'important est d'être heureux. Cela se traduit par une jouissance corporelle. Il n'y a rien de mauvais dans cela, car il
 est ignorant des méandres psychomoteurs de la perversité. N'ayant eu de contact qu'avec le négatif, il ne peut distinguer le bien du mal.
C'est un analphabète du sentiment. Un manichéen à sens unique.
Pour son premier assassinat, il s'est fait la main, du moins la poussée, sur son père. Avec une précocité assez rare...


 

Sa famille se composait comme toute famille dite normale. Evidemment, géométriquement parlant c’est suivant l’angle où l’on se trouve. Par exemple si vous êtes dans la zone sud, cela se discute. Si vous vous trouvez dans son contraire, ce n’est même pas la peine de polémiquer !


 

Le papa. Alcolo assarmenté et érémiste assermenté.

La maman. Avoue la même passion pour les liquides fermentés que son mari. Elle est productive. Technicienne de surface chez le bourgeois. (Son emploi dans une famille dure au maximum quatre jours. Motif du rejet habituel : Abus de produits non autorisés au personnel).

La fille, Céline. Régis l'a adoré durant ses trois premières années. Il la trouvait belle comme les petites filles de la télé.
Après, cela s'est gâté.

Et lui-même, né trois ans avant la benjamine.

Cela lui a pris du temps avant de s'intégrer dans l'environnement familial. Visiblement l'enveloppe fœtale lui manquait.

Lorsqu'il sort de dessous les jupes de sa mère, c'est pour se réfugier sous sa couette, en vérité une couverture de l'armée. A trois ans, il décrète que la gestation est terminée. Point trop n'en faut.
Il en est bien heureux. C'est la famille rêvée. Celle qu'il aurait choisie s'il avait eu son mot à dire. Il les aime tous les quatre immédiatement. Ses géniteurs, sa sœur et la télé. Cette dernière un peu bruyante à son goût, mais elle possède de très belles couleurs.
Tout change dans son harmonie lorsque Céline commence à déserter leur chambre commune. Elle a 6 ans et découche pour aller se blottir entre Papa et Maman dans leur lit. Intolérable.

"Et moi ? J'étais là avant elle ! C'est pas juste pense-t-il, amer et haineux."


A vrai dire, Maman ne profite pas des câlins du petit ange. Les heures de travail plus l'alcoolisation familiale intensive, la plonge assez rapidement dans un ronflement nerveux et agressif dès que sa tête rencontre l'oreiller.
Par contre, Papa qui a les heures de labeur en moins et un entraînement plus professionnel pour les produits vinicoles, peut à loisir, et je n'ose dire par plaisir, jouer et initier la petite fille. Pardon ! Le bébé. Il lui montre et lui exhibe les différences anatomiques entre le masculin et le féminin.
Régis est rongé par la jalousie. On peut le comprendre, le pauvre enfant. Il est écarté de l'amour le plus important pour lui. Celui des adultes.
Sa haine se dirige vers la plus innocente. A ses yeux, elle est la méchante.
Il se trompe d'ennemi.
Tous les soirs, il est à l'écoute. Derrière la porte close qui lui est interdite, les mots de tendresse et d'amour qu'il entend, déchirent son petit cœur innocent.

- Fais plaisir à papa… Comme ceci… Moins fort… Comme cela, plus vite… Un coup en bas, un coup en haut… Papa est content de toi… C'est facile, tu vois... T'es une vraie pro…

Il aurait voulu partager ses moments de bonheur avec eux. Mieux encore, être à la place de sa sœur. Un soir cela a été trop dur à supporter.

- Fais-y des bisous avec la langue, il sera content.

Là, il ne comprend pas. Mais cela doit être important. Puisque son père félicite Céline en criant :

- Oh, putain ! Que c'est bon ! T'es une vraie petite salope !

Il en pleure toute la nuit.
Un soir, il l'entend crier. Puis elle se met à pleurer en gémissant :

- Ça fait mal, papa, ça fait mal.

- Fais pas ta douillette, on dirait ta putain de mère.

Il se dit :

" Bien fait pour elle. Elle n'a pas été gentille et il l'a corrigé, en bon père qu'il est. Un coup de poing ou un coup de pied." Il espère les deux.
Demain peut-être que ce sera à son tour de profiter des câlineries secrètes.
Malheureusement, cela continue. Céline ne sourit plus. Sûr qu'elle joue la comédie afin que Régis ne se doute pas de sa joie. Il en est persuadé.
Sa rancœur dure cinq ans. Ainsi que le calvaire indicible et inqualifiable de la petite poupée privée de son droit naturel à l'enfance.
Régis poursuit sa scolarité. Il ne comprend rien de ce que dit l'instit. L'accent ça va, mais les paroles... C'est comme à la télé. Du brouhaha pour son cerveau non éduqué.
Lorsqu'il est seul à la maison, il baisse complètement le son du poste. C'est inutile et cela l'énerve.
Dans son avancée scolaire, il a droit chaque soir au même laïus d'encouragement paternel.

- Il est con ce minot. Il est bon à nibe.

Il est donc bon à quelque chose. Ça le rend heureux.
Le chef de famille continue invariablement dans ses dithyrambes :

- On se demande de qui il tire, ce dégénéré ?

Après quelques rots digne de ce nom, il enchaîne pâteux, en regardant sa moitié, ou son quart de pinard. Le regard n'est plus très précis.

- Sûrement de ton côté. Dans ta famille c'est tous des connards. Des pleins de vinasse.

Sur ces mots d'une précision accusatrice implacable, il se ressert et absorbe d'une traite le jus de l'évidence dogmatique.
Il termine plaintif et dans le doute théologique :

- Putain ! Je mérite pas ça. Qu'est-ce j'ai fait au bon dieu ?

On se rend bien compte que les voies mystiques sont difficilement accessibles au locataire des lieux.
Maman approuve, mais avec des nuances. Elle n'a enregistré que le début. Trop occupée au principe des verres communicants.

- T'as raison ! L'est pas doué pour l'école. Mais dans les supermarchés y z-ont toujours besoin de quèqu'un. Y se démerderas toujours.

Elle conclut sur un encouragement à la production vinicole, mais légèrement provocatrice :

- Ressers-moi, sac-à-vin ! Ça t'évitera un voyage.

Là, c'est variable, suivant l'humeur taquine du serveur. Soit la torgnole méritoire et patronale. Soit l'indifférence condescendante, dans ce cas-là c'est que ses facultés auditives sont réduites.
La conclusion du fils de famille à ces débats interactifs est satisfaisante.
D'abord, on parle de lui. Il existe. Ensuite, ils s'accordent à dire qu'il est apte à la vie active. Il trouvera un travail sans difficulté. Il est sur la bonne voie.

A l'âge de 14 ans, il ne mesure qu'1m40 pour 35 kg. Il est programmé pour 1.8OO millimètres et 85.000 grammes. Les mystères de la génétique et de la diététique réunies sont assez confus.
Il n'ingère que du bovidé en miettes et de la frite fine et craquante. Il adore le bruit de la patate chipsée gémissante entre ses molaires.
Il prendra sa forme définitive à l'âge de 18 ans.

Au premier regard on ne le trouve pas immédiatement laid, ni repoussant. Seulement étrange. Puis après un examen plus poussé, plutôt inquiétant. Effrayant si on est lucide et doté d'une bonne vue. Mais quasiment insondable pour un physionomiste de métier.
Le cheveu est ondulé. Comme papa. Le prépondérant dans son visage sont ses yeux. Très rapprochés de son appendice nasal, lequel prit sa forme définitive à l'âge de quatre ans, sur l'initiative du chef de famille.

Cela se passa un jour que le bambin, voulant attirer son attention, tirait agressivement le bas de son pantalon.

Rendez-vous compte, le sportif passionné et objectif était en train de regarder l'équipe de France qui jouait contre :

- Ces putains d'enculés de mange spaghettis. Tout juste bons à se pourrir au Chianti. Et à faire des marmots, qui à coup sûr seront italiens, juste pour emmerder le monde.

Ne vous effrayez pas ! Toutes les nations footballeuses qui osaient se permettre d'affronter la noble nation dont il était issu, étaient traitées idem. Seul les ingrédients alimentaires changeaient.
Le pauvre petit chou venait, sans le savoir, de pénétrer dans le no man's land paternel. La profanation irraisonnée, indélicate. D'autant plus gravissime que ces pédés de macaronis venait d'ouvrir le score.
Le coup de pied rancunier et tricolore était venu sanctionner immédiatement l'intrus. De la semelle, car il n'était pas en position pour un penalty (en français : pénalité). Je vous rassure, il était pantouflé.
Le bébé avait les os encore malléables, d'où l'absence de bruit qui aurait pu déranger l'auditif paternel. Par contre, les pleurs avaient détruit l'ambiance de l'arène familiale.
Il adressa le premier carton jaune à Régis :

- Espèce de gonzesse ! Arrêtes de pleurer ou je t'envoie par le balcon ! 

C'était assez significatif, mais pas vraiment pour un petit être de quatre ans.
Le second carton, mêlé de rouge s'adressa à sa chère épouse en train de cuver sur la table. Les matches de foot étaient assez soporifiques pour elle. Trop de personnes qui s'agitaient en même temps. Elle confondait les couleurs.
Le constat d'impuissance maternel à interrompre le perturbateur, lui inspira des paroles révélatrices et accusatrices :

- C'est ça ! Fais semblant de dormir, t'occupes pas de ton putain de minot qui fait des caprices de bébé à la con. C'est une vraie gonzesse ! Je me demande si c'est vraiment mon fils… Ça m'étonnerait pas vu que sa mère est une vraie pute.

Devant le silence outrancier de l'interpellée. Il se dressa et son pied de sportif haut-niveau balaya la chaise qui contenait la malheureuse endormie. Fatalement et à cause des lois de la physique newtonienne, la belle-au-cep-dormant se retrouva sur le plancher, qui était en fait carrelé de grès. Son crâne le heurta en force, ce qui provoqua simplement un changement dans la tessiture de son ronflement. Du régulier elle passa au saccadé.
Trouvant l'indifférence provocatrice et assez dédaigneuse, il accéléra le processus d'éducation sportive. L'éthique, il ne faut pas jouer avec.
Au bout de quelques coups de pied stomacaux, ponctués de qualificatifs très métaphoriques, elle s'étonna :

- Il est déjà fini ton putain de match ? Y z'ont fait qu'une mi-temps ces feignasses ?

Le pauvre petit Régis s'était déjà réfugié dans la chambre sous son lit. Il y passa toute la nuit, le nez bouché par des caillots de sang et d'os déplacés de leur position initiale. Il se servit de sa bouche pour inhaler.
Son appareil olfactif s'auto-restructura.
On allait pas donner le budget hebdomadaire pinardier à un enculé de pédé de toubib à la con. Pour une broutille, s'entend ! Il en verra d'autre ce petit merdeux.

Au fil de sa croissance ledit appendice s'était aplati pratiquement ras les pommettes. Les ailes épatées et larges étaient négrétisées. Le point culminant de ce magma était l'os nasique. Ressoudé en zigzag vertical.
Les bras étaient simiesques, les mains très larges. Le torse était en accord avec ses membres supérieurs. Les jambes massives, mais courtes.
Sa bouche était une ligne de démarcation entre le menton carré et le supérieur facial. Il n'était pas du genre lippu.
Il ne l'ouvrait pratiquement que pour ingurgiter ou lorsqu'il était seul, pour dénoncer la méchanceté de ses contemporains. Même lorsque la pédagogie ancestrale de son père se manifestait avec ses arguments frappants, ce qui devînt quotidien dès son entrée dans le monde scolaire.
Malgré ce qu'il subissait, sa bouche restait hermétique.
Deux raisons majeures et évidentes à cela :
Un, c'était son papa, il savait ce qui était bon pour lui.
Deux, s'il le corrigeait, c'est qu'il le méritait.
Il aurait été malvenu de rechigner...

Arrivé en phase terminale son regard à lui seul faisait oublier le reste. A la limite du strabisme convergent, il était fixe et sans éclat. Direction le vide absolu. Ses dernières risettes remontaient au néonatal. C'était l'inexpression totale. Un sphinx.
En fait, il souriait et rigolait comme tout un chacun. Chez lui, cela se passait à l'intérieur. Dans la discrétion.

Qu'est-ce qui le mettait dans des états de franche rigolade ?
Comme tout un chacun ! Les films très violents. Le sang qui giclait, les têtes éclatées, les membres sectionnés, les viscères arrachés.

Avec le montant des allocations de la rentrée scolaire, le seigneur des lieux avait acheté un magnétoscope. C'était bon pour l'éducation avait-il décrété. D'ailleurs, il louait essentiellement des films instructifs. Des X et des gores.
Les premiers, Régis n'en avaient pas saisi les subtilités comiques. Par contre les autres, quelle rigolade ! Certains étaient insoutenables de drôlerie. Tellement
bidonnant, que souvent ses sphincters, en harmonie sans doute, se relâchaient et il se pissait dessus. Pour lui, c'était le nirvana. Sentir la chaleur de son urine, le long de ses cuisses. Quel bonheur ! Pas cvraiment partagé par le projectionniste. Je vous fais grâce des récompenses paternelles.
Les accidents dans les reportages télé étaient quelquefois assez drôles. Surtout lorsque le cameraman était consciencieux et baguenaudait sur les victimes. Egalement certains reportages photos de revues comiques qu'il trouvait dans les poubelles, comme Paris-match.

Il eut sa première grosse crise de fou-rire, alors qu'il rentrait chez lui, après une journée scolaire normale, passée comme à l'accoutumée dans les coins.
Pendant le scolaire, dans un coin de la classe. L'enseignant avait renoncé à l'éducation de l'irrécupérable. Le pédagogue diplômé l'avait parqué dans le secteur de l'inculture.
Pendant la récré, dans un coin de la cour qui se trouvait près des chiottes. Mais sans aucune raison. Peut-être l'odeur...

Ce jour-là, au détour d'un caniveau, le show comique par excellence.
L'hilarité, toujours in-vitro, a été grandiose. Du direct-live sur les tripes expropriées du corps d'un pauvre matou écrasé. Seule la tête était intacte. Du comique total.
Il riait encore lorsqu'il réintégra son foyer. Son père était devant la télé et le salua amicalement :

- C'est maintenant que tu rentres petit branleur. Va me chercher un quillon dans la cuisine, tu te rendras utile. Après fais tes devoirs. Si t'es gentil, je te ferais voir un film de cul. Ça te fera du bien.

Vu la drôlerie de son propos, il n'avait pas pu se retenir et était parti dans un rire d'ivrogne.
Régis fixait son père, il ne comprenait pas la deuxième injonction. Vu qu'il n'avait jamais fait le moindre devoir, ni à la maison, ni à l'école. Il était illettré complet.
Un léger sourire le gagna. Il se demandait si l'intérieur de son père serait aussi comique que celui du minet.
Il aurait pu être tout à fait heureux. Mais les relations de sa sœur avec  papa ombrageaient sérieusement son bonheur.
Deux jours avant ses onze ans, Céline était allée passer des examens à l'hôpital. Elle maigrissait à vue d’œil. Plus d'appétit. Après examen et vu son état, elle fut  immédiatement hospitalisée.   Bien sûr, contre l'avis médical paternel et lucide d'abjection :

- Vous voyez pas qu'elle fait l'intéressante. C'est des caprices de pisseuse. Et moi, qu'est ce je vais devenir ? Je peux pas me passer d'elle. Vous pouvez pas comprendre. Je l'aime trop cette merdeuse.

Les infirmiers avaient dû devenir menaçants pour qu'il calme sa peine profonde. La mère hochait la tête pour approuver son époux. Elle pensait qu'il y avait une semaine de vaisselle entassée dans l'évier. Du linge à porter à la lavomatic'. Les sols, qui depuis plus d'un mois attendaient un rafraîchissement salutaire et sanitaire. Du repassage. Elle en oubliait certainement. Elle se demandait si la petite, qu'elle avait informé la veille de ses nouvelles fonctions au sein de la communauté, n'était pas en train de vouloir esquiver ses obligations légitimes envers ses parents méritants.
Maintenant qu'elle savait lire et écrire, nul besoin de continuer dans les hautes études. De nos jours l'essentiel pour une « femme », (En Afrique les filles de son âge sont presque grands-mères) était de savoir s'occuper d'une maison et de sa famille vieillissante qui avait tant fait pour elle. Elle n'allait pas faire un caprice d'ingratitude, tout de même.
Elle se rajouta, à elle-même.

"En plus, si elle n'est pas là, je vais être obliger de me faire tringler par ce vicelard de merde."

Le soir, papa était allé noyer son chagrin dans les chapelles environnantes. Maman, excédée par l'attente (De quoi ? De qui ? Pourquoi ?) s'en était pris au rouquin. Elle avait déjà occis son second litre, affalée dans le fauteuil directorial. Elle prenait des risques.
Elle essayait de suivre les plaisanteries d'un spécial Lagaf. Avant de sombrer dans le néant, elle nomma les qualités évidentes du showman :

- Putain ! Ça c'est un vrai comique. Y doit bien picoler ce counasse !

Elle tenta de rajouter un superlatif digne de l'artiste, mais le temps de fouiller son vocabulaire, elle capota direct dans l'insouciance onirique. Aussitôt, Régis alla se mettre dans le lit paternel. Enfin, c'était son tour.
Le cœur battant et l'espérance démesurée, il se glissa dans les draps, tout nu. Prêt à prendre la succession de la favorite.
La bête immonde rentra finalement dans sa tanière. Il était imbibé au niveau le plus haut dans l'échelle éthylique. Son chagrin étant immense, il avait porté la mauvaise nouvelle à tous les intéressés. Les bistroquets.
Son deux roues à moteur était intact, St Christophe-des-Avinés l'avait préservé.
Après avoir salué les meubles de la maison, il fît coucou à sa femme :

- 'Ardez-moi cette grosse porquasse ! Tu ferais mieux d'aller faire la bouffe et de t'occuper de ton mari, connasse ! En plus tu te permets de prendre mon fauteuil. On aura tout vu dans cette maison.

Après l'avoir délicatement projeté sur le sol, il continua dans les remarques civiques :

- Pas un brin de savoir-vivre. T'es bien de La Capelette ! Espèce de poufiasse !

Cette tirade lui provoqua un rot interminable, suivi d'un rejet gastrique liquide. Au bruit et à l'odeur, on reconnaissait facilement un vomissement.
Après s'être éclairci les cordes vocales, il continua dans la tendresse sexuelle et l'exotisme :

- Comme tu veux avoir envie de niquer ce tas de viande pourri ? Même pas elle ferait bander un régiment de sénégalais en chaleur.

Et toujours, la plainte mystique :

- Qu'est-ce j'ai fait au bon dieu pour mériter ça ? Tè ! Je vais me coucher, sinon je vais m'énerver.

La pauvre femme ne risquait pas d'avoir les oreilles offusquées. Elle avait atteint la zone d'insonorisation. Elle était à l'abri des intempéries conjugales.
Aussitôt aux abords du lit, il se laissa tomber dessus comme un sac d'excréments.
Régis se sentit écrasé, 80 litres de pinard, ça pèse. Il se manifesta en criant. L'alcolo incestueux grogna, colérique :

- Qu'est-ce c'est ce bordel ?

Le pitchounet s'extirpa des draps, mi-étouffé, mi-très heureux.

- Qu'est-ce tu branles dans mon pieu, petit con ?

Fidèle à son habitude, il resta muet et attendit la récompense tant rêvée. Il en eut deux.

D'abord, la verbale :

- En plus, l'es à poil ce petit pédé. Une tantouze dans la famille ! Manquait plus que ça.

Ensuite, la manuelle :

Le vinassé le souleva par la tignasse et le projeta ipso facto contre la commode où sa tête cogna le rebord boisé, ce qui lui permit d'admirer une petite voûte céleste.
Pauvre petite victime du désamour d'un infanticide de l'innocence.
Son petit derrière luisait blanc et tremblotant dans la clarté semi-lunaire.

- Tu sais que finalement, t'as un beau petit cul. Bouges pas ! Je vais pisser et je m'occupe de ta religion...

Régis était conscient. Il prenait sa première colère. Une rage de frustré, de rejeté. Elle était énorme. Il se mit à rigoler doucement, puis un fou-rire submergea son intime.
Il allait enfin savoir si l'intérieur d'un homme était aussi comique que celui d'un chat. Quelle rigolade !
L'ivrogne après avoir déposé une couche de vomis sur le  balconnet, était en train d'uriner à travers les barreaux. Comme assez souvent d'ailleurs. Il disait que c'était pour arroser les plantes de ces enculés de melons du dessous.
Régis s'approcha lentement. Il souriait. Son petit cœur s'accéléra lentement.
Son père qu'il venait de désavouer de son droit légitime, était appuyé sur la rambarde, le corps plié en deux. Il faisait des arabesques urinaires en gueulant :

- Prends-toi ça, sale bicot ! C'est de la pisse française.

Les derniers mots du tortionnaire furent :

- Putain j'ai la bite cassée.

Son sexe avait fait une ultime caresse à la ferraille rouillée de la balustrade.
Régis avait réussi avec ses petits bras maigrichons, à faire basculer son ex-papa dans le vide.
Tout son corps fut secoué d'un immense fou-rire que lui seul entendait.
C'est à ce moment qu'il découvrit sa première érection.
Il était descendu voir l'autre, son nom lui échappait déjà. Le corps de son père avait rebondi sur le balcon souillé du maghrébin honni et s'était écrasé quatre étages plus bas. Par chance pour Régis, la tête avait heurté le rebord d'un parterre anciennement fleuri. Le crâne s'était ouvert comme une pastèque, arrosant les alentours immédiats de cervelle, d'os et de sang. Il avait eu du mal à réfréner ses éclats de rire. Son sexe avait durci, un vrai bout de fer. Il avait aussi observé les membres disloqués, curieusement étalés. Rigolo sans plus.
Les deux chiens d'Ali du rez-de-chaussée se disputaient les bouts d'abats français.
L'épitaphe de l'épouse fut d'un réalisme accablant :

- Ce gros con ! Il a choisi son moment. Je vais faire comment pour m'en sortir avec deux bouches inutiles à nourrir. Il m'aura fait chier jusqu'au bout, ce fils de pute. Il a qu'à crever !

Céline réintégra le domicile le lendemain de l'enterrement. Ce n'était ni la grande joie, ni la grande peine. Ses sentiments étaient en berne.
Elle recommença à manger et devint le personnage clef de la maisonnée. Le temps des batifolages était terminé !!!
Elle prenait son rôle très au sérieux. Son enfance avait été effacée. Elle entrait dans les occupations de gérante familiale.
Régis était bien. Il pouvait regarder sa sœur à loisir. Il l'aidait du mieux qu'il pouvait, à sa façon. Il l'accompagnait dans toutes les taches ménagères en la soutenant de son regard sans lueur. Elle essayait la plupart du temps de l'éloigner d'une voix douce et résignée :

- Va t'asseoir, tu vois pas que tu m'empêches de travailler.

Il ne saisissait pas le lien et continuait à la coller. Utile.
Il était heureux comme ça. Aucune raison qu'elle ne le fût pas.
Il avait complètement occulté son père. Celui-ci avait sombré corps et bien dans les oubliettes de ses pensées.
La mère continuait son gymkhana entre le boulot et les litres de vin. Elle rentrait du labeur, continuait sa cure uvale, s'endormait, se levait et reprenait le cycle infernal. Lequel devait se terminer pour les 16 ans de l'aîné.
Les chérubins furent confiés à l'oncle paternel. Malheureusement pour la fillette, il était vraiment de la famille !
En plus des câlineries au tonton, elle continua dans le rôle de Cendrillon. Elle assumait sans renâcler. Après tout c'était son rôle, elle se devait à sa famille. De plus, c'est tout ce qu'elle savait faire.
Régis avait stoppé les « études » depuis deux ans. Pour lui, il n'y était jamais allé. Aucun souvenir scolaire, ni autres d'ailleurs, n'était imprimé dans sa mémoire. Excepté les comiques !
Ce qui lui importait, c'était sa vocation joyeuse pas encore avouée, mais qui prenait forme.
A 18 ans, il était morphologiquement terminé. Les patates bouillies et les pâtes à l'eau bien cuites de Tatie, y étaient peut-être pour quelque chose !
Il traînait sa grande carcasse dans la cité. Rendant des services à tous les altruistes des HLM! De la livraison de la baguette de pain à la bouteille de butane. De temps en temps, il essuyait un merci. Jamais il ne pénétrait chez l'habitant méfiant des dangers de contamination. Ne guérissons pas, prévenons !

"Il est peut-être cannibale! Vous savez Mme Sarfati, on en voit tellement... On ne sait jamais ! Il est gentil, mais... Mèfi !"

Il avait pris la fonction villageoise d'idiot.
Les plus petits l'insultaient et fuyaient en courant. Aucune raison, mais cela faisait partie du jeu.
Les plus grands, adultes malheureusement, lui lançaient des vannes de haute volée.
Il avait du mal à les comprendre. D'autant plus que cela déclenchait des éclats de rire assez bruyants. Style :

- Oh, Régis ! Si tu vois le bossu, dis-lui qui se redresse.

Il ne connaissait aucun bossu, et même ! Comme il ne parlait à personne...
Par contre les filles étaient adorables, comme sa sœur. Les voix étaient agréables. Il aimait le sexe opposé, sauf les mères! Elles criaient toujours.
A son passage les gentilles lui adressaient des caresses verbales :

- T'as un gros chichi, FRégis ? 

- Quand est-ce qu'on se mélange ? 

-Te fais pas trop de pignoles, ça rend gaga !

Sur son physique et il n'en manquait pas, le plus gentil était :

- E.T. Il est pas joli, mais il a un gros quiqui.

Les sons étaient mélodieux.
Il connaissait le mot quiqui. Mais il n'y avait qu'une chose qui donnait des sensations à son instrument. C'était lorsqu'il rigolait aux éclats.

Pour cela, il lui fallait voir mourir quelqu'un...

 
 
Bianchimani

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